À quelques jours du 17 mai, journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie[1], où en est l’Église en tant que communauté de croyants ? en tant qu’institution ? Je voudrais témoigner à la fois de l’existence profonde de l’homophobie dans notre pays et en même temps du courage de chrétiens, de pasteurs et d’évêques, voulant prendre en compte la réalité de l’homosexualité et accueillir les personnes non seulement par des paroles, mais aussi en adaptant les structures ecclésiales.
Ce qui bouge en France :
Des associations homosexuelles[2] permettent à des personnes LGBT, de trouver un soutien, notamment de concilier Foi et Homosexualité. Des groupes de partage existent dans bon nombre de villes de province et à Paris.
Des week-ends sur ce thème sont proposés par différents centres spirituels[3].
Saint-Hugues propose une session « Homosexuel(le), avancer avec Dieu et avec les autres » qui se tiendra au Casset dans les Hautes-Alpes, du 6 au 13 août 2023.
Depuis 2014, peu après la Manif pour tous, certains diocèses de France ont mis en place une pastorale des personnes homosexuelles en nommant une personne responsable rattachée à la pastorale de la famille. Le fait que cette pastorale existe structurellement dans l’organigramme d’un diocèse est un pas important. Quand des parents apprennent l’homosexualité de leur enfant, qu’ils se demandent si leur fils ne se trompe pas, qu’ils s’interrogent sur ce qu’ils ont fait pour ça, sur ce qui va arriver à leurs enfants, le fait que le mot « homosexualité » soit mentionné dans l’organigramme du site du diocèse avec un numéro de téléphone à appeler, est déjà très réconfortant.
Cela permet que des homosexuels contribuent naturellement et visiblement à la vie de l’Église. À Angoulême en 2022, l’évêque avait sollicité la pastorale des familles pour organiser une journée autour d’Amoris Laetitia[4]. Naturellement, le couple responsable de la pastorale des familles a sollicité les différents mouvements affiliés qui souhaitaient venir préparer cette journée. J’y suis allé au titre de la pastorale des personnes homosexuelles. J’ai eu la surprise d’entendre un représentant d’un mouvement de jeunes dire : « ce serait bien que les mouvements qui le souhaitent animent une table ronde pour présenter la problématique qu’ils portent. Chacun des participants choisirait la table ronde qui l’intéresse. Par exemple, je trouve que ce serait bon que de jeunes adultes (18 ans) aient la possibilité d’entendre parler d’homosexualité dans un cadre d’Église ». Il y a eu 8 tables rondes dont une sur le thème « La place des homosexuels dans les familles ». Quelques jeunes adultes ont entendu des parents dire comment ils avaient réagi quand leur fille ou leur fils, leur avaient annoncé son homosexualité. J’ai été heureux et fier de mon Église qui avait permis que cette rencontre se fasse naturellement pendant que d’autres chrétiens avaient vécu autre chose.
Aujourd’hui plus d’un tiers des diocèses de France ont intégré une telle pastorale, très en lien avec le service « Famille et Société » de la conférence des Évêques de France. Cela permet de se donner des idées, de faire appel à des témoins, des biblistes, des pasteurs, de se soutenir.
Un texte de la curie en 2021
Le 22 février 2021, le dicastère pour la doctrine de la foi publie un « Responsum » déclarant « L’Église ne dispose pas du pouvoir de bénir les unions de personnes de même sexe ».[5] La raison invoquée ? Dieu ne peut pas bénir le péché…
Le texte du Responsum insiste sur une distinction : « il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille ». Il me semble qu’affirmer une différence entre les unions homosexuelles et le dessin de Dieu sur le mariage sacramentel entre un homme et une femme, ne devrait pas empêcher de considérer les deux réalités humaines pour elles-mêmes. Se demander ce qui est bon pour le monde avec chacune de ces deux réalités, puis voir comment ces réalités contribuent au plan d’amour de Dieu. De tout temps des personnes homosexuelles ont fait preuve d’une grande fécondité dans le domaine de l’art notamment. Elles ont largement contribué à transmettre la vie au sens large.
De cette différence, le responsum en déduit que les unions homosexuelles seraient « un choix et une pratique de vie qui ne peuvent être reconnus comme étant objectivement ordonnés aux desseins révélés de Dieu ». Je me demande pourquoi une pratique de vie entre personnes de même sexe ne pourrait pas être « ordonnée aux desseins de Dieu » ? Faut-il comprendre que pour le dicastère pour la doctrine de la foi, il conviendrait que des homosexuels se forcent à une relation hétérosexuelle ? J’ai du mal à comprendre pourquoi ce texte ne semble envisager qu’un seul type d’union (hétérosexuelle), qu’un seul type de bénédiction et même un seul dessin de Dieu[6].
Je suis témoin qu’une proportion importante d’hommes homosexuels de ma génération se sont mariés avec une femme parce qu’on leur avait dit : « tu verras quand tu seras marié, tout rentrera dans l’ordre ». Certains avaient évoqué leurs doutes à leur épouse et se sont mariés en confiance. Ils ont aimé leur femme mais leur nature profonde s’est réveillée après avoir eu plusieurs enfants. Quelques-uns parmi eux ont décidé de continuer d’être fidèles à leur amour et au sacrement reçu. Mais, je ne peux m’empêcher d’entendre « Les scribes et les pharisiens… attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt » (Mt 23,2.4).
L’homophobie, une réalité profonde.
Je peux témoigner que l’homophobie de la société m’a beaucoup travaillé intérieurement au cours de ma vie. J’ai été amoureux à 19 ans d’un copain de classe, il était hétérosexuel et il ne s’est rien passé. Rétrospectivement, je sais bien que j’ai tout fait inconsciemment pour ne pas comprendre ce qui s’était passé en moi, j’ai cru que ce que je ressentais était une simple amitié et je n’ai compris que j’étais homosexuel qu’à 29 ans, et même après, j’ai eu à me battre avec l’homophobie intégrée en moi.
J’ai appris progressivement que l’orientation homosexuelle du désir existe bien. Pour une partie des homosexuels, admettre son orientation sexuelle est un long combat … qui ne dispense pas de discerner comment la vivre.
Ce combat commence pour des parents quand leur enfant leur annonce leur homosexualité : je témoigne que, lorsqu’ils dépassent leur homophobie, les parents sont les meilleurs ambassadeurs pour faire comprendre à ceux qui doutent que l’orientation homosexuelle existe et qu’elle est compatible avec le bonheur.
Je peux comprendre que l’existence d’une orientation du désir sexuel vers le même sexe, soit difficile à admettre et prennent beaucoup de temps, même chez des personnes de bonne volonté. Mais je suis témoin que ne pas croire à l’existence de cette orientation du désir revient à garder les personnes concernées dans le silence, à nier leur existence même. Je vois aussi que cela justifie les agressions homophobes[7] puisque c’est l’agressé lui-même qui d’avance a tort.
Le sursaut des chrétiens et des évêques en Belgique flamande
Un groupe de chrétiens flamands comprenant quelques homosexuels- mais pas seulement- et des théologiens avaient rencontré le Pape en 2018. Il leur avait demandé « soyez la voix de ceux que l’on n’écoute pas ». Ils avaient fait des recommandations auprès de la conférence des Évêques de Belgique Flamande.
Mais la publication du Responsum le 22 février 2021 a fait prendre une toute autre tournure à ce travail. L’article de La Croix en note[8] explique « En Belgique, y compris parmi bon nombre de catholiques du pays, c’est le choc. Huit jours avant, dans la banlieue d’Anvers, un homme homosexuel a été battu à mort après avoir été piégé par le biais d’un site de rencontres ». « Un sentiment de malaise que certains évêques flamands font dès lors remonter à Rome ».
Willy BOMBEEK, coordinateur de la pastorale des personnes homosexuelles en Belgique Flamande explique que ce choc et la mobilisation des chrétiens ont incité les 5 évêques Flamands à s’emparer directement du sujet. Extraits de la traduction française de la lettre pastorale des Évêques Flamands [9]:
Les Évêques flamands veulent donner un ancrage structurel à leur engagement pastoral envers les personnes et les couples homosexuels. …
Pastorale de la rencontre
Cette pastorale est essentiellement axée sur la rencontre et le partage. Les croyants qui vivent dans une relation homosexuelle stable souhaitent être respectés et appréciés au sein de la communauté des croyants. Le sentiment de ne pas être à leur place ou d’être exclus de la communauté ecclésiale leur est particulièrement douloureux. Ils souhaitent être entendus et reconnus. L’objet de la présente approche pastorale est de : transformer cette incertitude en une vision de plus en plus claire et une acceptation croissante ; répondre à leurs questions sur les positions de l’Église ; partager leur joie de connaître un partenaire stable ; apprécier leur choix d’une relation exclusive et durable ; apprécier leur détermination à prendre des responsabilités l’un pour l’autre et leur souhait d’être au service de l’Église et de la société.
Prière pour l’amour et la fidélité
Lors des rencontres pastorales, nous entendons la demande récurrente d’un moment de prière pour demander à Dieu de bénir et de perpétuer cet engagement d’amour et de fidélité. Il est indiqué que les personnes concernées discutent du contenu et de la forme concrète de cette prière avec un responsable pastoral. Un tel moment de prière peut se dérouler en toute simplicité. En outre, il s’agit de conserver une claire différence par rapport à ce que l’Église entend par mariage sacramentel.
Ce moment de prière pourrait se dérouler comme suit : (voir le détail de la prière en note)»
Certains ont pensé que cette prière défiait Rome, mais il n’en est rien. Les Évêques Flamands ont été à Rome en visite Ad Limina et ont été très bien reçus. L’article de La Croix (cf note) explique : « De tous ces rendez-vous à Rome, les membres de l’épiscopat flamand tirent aujourd’hui une certitude, qui se résume par la réflexion de l’un d’entre eux : « Ce projet n’est contre personne, et surtout pas contre Rome. On est en communion avec le pape François. »
Je comprends que ce texte de prière proposé par les Évêques Flamands a réussi à honorer ce qui restait légitime dans le texte du responsum sans pour autant en adopter les a priori homophobes.
En France, des Évêques français vont dans un sens analogue.
Alors, oui, l’Église se laisse interpeller ! Mais c’est un long travail d’accouchement, tellement la réalité de l’homosexualité reste difficile à admettre et parfois, pour les homosexuels eux-mêmes. L’homophobie se manifeste de manière plus violente7 mais je vois aussi que des chrétiens ont à cœur de rendre témoignage à la vérité. Je vois que des pasteurs remontent leurs manches pour affronter la complexité et je vois l’Esprit Saint tirer un bien du déchainement de la violence.
Emmanuel GRASSIN d’ALPHONSE
📧 pour contacter l’auteur, envoyez un mail à l’adresse communication@cvxfrance.com
Notes
[1] Le 17 mai 1990, l’OMS a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
[2] David et Jonathan, crée en 1972, se définit comme l’interface entre le milieu LGBT (lesbien, gay, bi, trans), les Églises et espaces de spiritualité et l’engagement associatif et militant.
Devenir un en Christ (DUEC), crée en 1986 propose à tout chrétien, homme ou femme, concerné par l’homosexualité d’avancer humainement et spirituellement, dans un climat de respect et de confiance, à partir de la situation dans laquelle il se trouve et quel que soit son état de vie (parents, célibataires, couples homosexuels, couples mariés dont l’un est homosexuel, personnes homosexuelles divorcées ou séparées).
Communion Béthanie, crée en 2004. « En couple, célibataires, mères, pères de famille, pasteurs, prêtres, religieuses, religieux en alliance, nous avons le commun désir de prier et de nous mettre au service d’un nouveau regard porté sur les personnes transgenres et homosensibles, sans chercher à les changer. »
[3] Penboc’h, Manrèse, le Cénacle à Versailles ont proposé des week-ends sur des thèmes liés à l’homosexualité. La Pairelle et DUEC ont proposé un week-end Foi et Homosexualité en mars 2023, il y avait 40 participants.
[4] Encyclique du Pape François portant sur l’amour au sein de la famille
[5] « “L’Église ne dispose pas du pouvoir de bénir les unions de personnes de même sexe”, estime le cardinal Ladaria » La Croix – Urbi et Orbi 16/03/21
[6] « La présence dans ces relations d’éléments positifs, qui en eux-mêmes doivent être appréciés et valorisés, n’est cependant pas de nature à les justifier et à les rendre ainsi légitimement susceptibles d’une bénédiction ecclésiale, puisque ces éléments se trouvent au service d’une union non ordonnée au dessein du Créateur »
[7] Rapport Janvier 2023 : chiffres du ministère de l’intérieur : Atteintes anti-LGBT en 2021 : 2170 crimes et délits, dont 24% d’atteintes physiques Consulter le rapport sur les crimes de haine anti-LGBT en France
[8] « « Bénédiction » des couples gays, le Vatican était informé » article La Croix 14/10/22