Entretien avec Xavier de Bénazé, sj, jésuite délégué du Provincial pour la transition écologique. Xavier est à l’origine de la création de l’École de vie Laudato si’ qui propose cet été à une vingtaine de jeunes entre 20 et 35 ans de passer six semaines à l’écocentre spirituel jésuite du Châtelard (69) afin d’approfondir et d’incarner leur vocation chrétienne en écologie intégrale.
S’il fallait décrire en deux adjectifs ce que les participants vont vivre, quels mots utiliseriez-vous ?
Sobre et fraternel, ce serait deux bons adjectifs parce que certainement, la manière de vivre ensemble dans le cadre de l’écocentre va être assez simple. On va chercher à plonger dedans par des expériments de cuisine par tel ou tel chantier qui auront lieu cet été, par le soin de tous les vivants qui nous entourent, les quelques moutons, le potager mais aussi une belle biodiversité. Pour le côté fraternel, c’est l’idée de voir un petit groupe qui chemine ensemble. C’est une première édition, quelque chose qui ne s’est pas fait ailleurs pour l’instant. Je pense que cette fraternité s’étendra au-delà du groupe qui vit l’École de vie. On va aussi apprendre à vivre avec ceux qui habitent au Châtelard et on testera ensemble cette formule.
Il y aura un côté expérientiel très fort, tester des choses concrètement, faire des expériences ensemble et puis un côté enraciné à la fois par un travail intellectuel dans les quatre premières semaines et également enraciné par le travail spirituel de fond avec un accompagnement personnel pendant les six semaines et par la clôture de l’École de vie avec une retraite de cinq jours suivant les Exercices qui permet de relire l’ensemble du processus avec Dieu. C’est venu de 4, 5 jeunes qui ont évoqué individuellement leur souhait d’avoir un temps d’expérience un peu long et en même temps qui ne soit pas juste de l’« expérience écolo » mais quelque chose de profondément ancré comme chrétiens qui les aide après à s’engager.
En quoi l’approche de l’écologie doit être forcément intégrale ?
Si je réponds un peu directement à partir d’une citation de l’encyclique Laudato si’, le Pape nous invite à entendre tant la clameur de la Terre que la clameur des pauvres (§49)1, l’humain et les autres créatures sont imbriqués. On ne peut pas vouloir séparer l’écologie qui serait tout sauf les humains d’un côté et uniquement les humains de l’autre. Il faut tenir compte de tout le reste. On voit bien où ça nous mène aujourd’hui en terme de crise.
L’écologie intégrale c’est aussi pour moi se plonger dans une vision relationnelle du monde comme un tissu de relations vivantes avec la relation à soi, la relation aux autres, la relation à la Création et la relation à Dieu. Si on veut faire de l’écologie, c’est à dire s’intéresser à ce que c’est qu’être vivant, cela veut dire s’intéresser à ces quatre relations fondamentales et prendre soin de ces quatre relations et de la manière dont elles sont tissées les unes aux autres. Si on ne s’intéresse qu’à une des quatre relations ou même à trois des quatre, on va louper quelque chose dans ce qu’est être vivant. Une bonne partie du monde écolo aujourd’hui sans tradition religieuse, sans spiritualité explicite est assez convaincue de ça et parle du besoin d’une transition intérieure pour que la transition extérieure se fasse.
1 aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. Consulter l’encyclique
L’École de vie est-elle une réponse au mode d’approche plus radicale par certains jeunes, qui peut desservir la cause ?
Je ne pense pas que l’École de vie soit une alternative à quelque chose de plus radical car l’École de vie veut être radicale, au sens « d’aller à la racine des choses » (le terme « racine », qu’on retrouve dans « radicale »), c’est pourquoi je me mettrai un peu en décalage par rapport à la question. Mais c’est sûr que le monde écolo peut être guetté par un certain activisme qui cherche un peu dans la quantité d’action et peut-être dans l’intensité d’action, une manière de pallier le fait qu’on a l’impression que rien n’avance. Du coup on y va corps et âme et dans des choses très intenses, par exemple dans des opérations de désobéissance civile.
L’École de vie veut aider des jeunes chrétiens à construire une charpente intérieure, qui permet de discerner les engagements que je prends. Pour interpeller des pouvoirs politiques en face, il me faut sortir du cadre de la loi en faisant des opérations de désobéissance civile, avec d’autres, sans atteinte aux personnes, le discernement peut en conduire certains là. Pour d’autres le discernement mènera à se dire « non ce n’est pas mon mode d’action, je veux m’engager dans une entreprise, tâcher de réformer les choses de l’intérieur ». Et de fait, il y a bien différentes voies d’engagement. L’École de vie cherche à donner des clés pour le discernement de chacun. Et une charpente intérieure qui permette de tenir l’engagement choisi dans le temps. Cela rejoint la question de l’espérance au sens chrétien du terme. Aujourd’hui, il faut être conscient que quelle que soit la voie d’engagement bien discerné qu’on prend, on sait que dans les dix ans à venir il y a peu de chance que la situation globale s’améliore. Par exemple, sur le réchauffement climatique, on était quasiment à +1,5 degrés cette année, il n’est pas improbable qu’on franchisse ce seuil dans les dix ans à venir.
Cela veut dire qu’il faut être capable de tenir un engagement dans la durée sans en voir des fruits immédiatement et même plus qu’immédiatement puisqu’on parle au moins d’une décennie. Dans cette situation, où sont mes ressources intérieures ? D’où me vient mon désir d’engagement ? Comme chrétien, je dirai que cela tient si c’est pour moi une manière d’aimer le monde, d’aimer les autres, d’aimer Dieu, de m’aimer moi-même. Parce que m’engager c’est juste. Parce que cela a bon goût. Parce que cela m’apporte paix et joie.
Cette question de durée dans l’engagement est un vrai défi. J’espère que l’École de vie pourra former des jeunes qui aient cette charpente intérieure, cet enracinement en Christ qui va les aider à choisir des engagements auxquels Dieu les appelle aujourd’hui et trouver des points d’appui profonds pour durer dans le temps et peut-être pour re-discerner plus tard.
Peut-on espérer un changement d’orientation professionnelle ?
Ce n’est pas impossible qu’à la fin de l’École de vie certains le fassent. C’est comme dans une retraite, on vient avec le désir qu’on porte et en début de retraite, on pose sa question devant le Seigneur. Ensuite, on se met à l’écoute de Dieu pour voir comment cela va venir rejoindre, faire bouger le désir qu’on porte. On replace cela plus largement, on se réordonne à Dieu et après il y a quelque chose de plus apaisé qui permet de choisir de manière plus juste. On est bien dans ce travail profond-là qui permettra, je l’espère, certains choix pour ceux et celles qui portent ce type de questions. Ou d’autres.
Après l’École de vie, on pourra compter une dizaine d’éco-anxieux en moins ?
Disons-le d’entrée, c’est une réaction assez saine d’être anxieux face à la situation du monde telle qu’elle se dessine dans les années à venir. Maintenant le travail à faire c’est comment je traverse cette anxiété, comment j’apprends à vivre avec ?
Au Châtelard nous travaillons par exemple avec un psychiatre, Emmanuel Contamin, qui a été trente ans au Chemin Neuf. Il s’intéresse depuis quatre ans à ces questions d’éco-anxiété. Pour lui, une part du travail est de savoir ramener l’anxiété dans une zone « vivable » intérieurement. Le problème c’est quand elle dépasse la capacité de résistance émotionnelle, psychique, qui est variable selon chacun. Elle met soit dans un système de surchauffe, d’activisme. Soit dans un sous-régime, une forme de dépression. L’enjeu est alors de traverser son éco-anxiété en trouvant des ressources autour de soi. Pour des croyants trouver comment Dieu m’aide à ne pas rentrer dans une espèce de zone de surchauffe ou de dépression mais à rester dans quelque chose de vivable avec mon histoire, mon psychisme, mon réseau neuronal tel qu’il est, mon histoire de traumas. Est-ce qu’il y aura dix éco-anxieux en moins à la fin de l’École de vie Laudato si’ ? Oui, on peut l’espérer si on considère les excès de l’éco-anxiété soit du côté du suractivisme, soit du côté de la dépression ; non, si on se dit qu’on sera « guéri » à la fin des six semaines et qu’on verrait la vie en rose contre la réalité.
Voilà une part du travail. Une autre part relève, on l’évoquait précédemment, de l’espérance chrétienne. Je peux tenir et aimer m’engager car je trouve que c’est là qu’est ma suite du Christ pour aujourd’hui. Là, j’aime et donc là je vis déjà quelque chose de Dieu. Là je vis déjà quelque chose qui a le goût, les promesses, de la vie éternelle. Le fait d’aimer en m’engageant dans cette association, ou en m’impliquant dans des mouvements de désobéissance civile, ou en continuant mon métier de cadre dans une entreprise pour contribuer à une réforme de l’intérieur : c’est cela qui fait sens. Il me faut discerner que là, j’aime à la suite du Christ ; et que c’est là que le Christ m’appelle à aimer aujourd’hui. Alors je n’ai pas besoin d’une garantie de succès à horizon humain pour continuer à le faire parce que je sais que là je vais chercher et trouver Dieu et que Dieu me trouve et que je vis de l’amour de Dieu. Je crois que si comme chrétien là où on est, on est ancré dans cette espérance, on a un vrai service à rendre à d’autres autour de nous qui sont peut-être plus engagés, plus intelligents, plus militants mais qui peut-être passent par les espoirs et désespoirs humains comme nous, mais sans avoir ce point d’appui en Dieu.
Nous, si on a ce point d’appui en Dieu, on les aidera peut-être à traverser des moments de surchauffe ou des moments de dépression pour qu’ils continuent eux-mêmes à s’engager. Et puis, je crois qu’il y a dans cette façon d’être espérante une dimension évangélique missionnaire. Si on est ancré ainsi comme chrétien, je crois que ça peut en appeler d’autres vers le Christ.
Au sujet de l’espérance, j’ajouterai que au Campus de la Transition – le projet est laïc – on ne m’a jamais dit « vous les chrétiens, quelle espérance vous habite ? ». En revanche, trois fois à des moments différents en deux ans, des copains sans spiritualité ni religion disaient « il y a quelque chose d’étonnant chez vous les quelques chrétiens qui êtes là, c’est votre capacité d’engagement ». Pour moi cette capacité d’engagement, elle est liée fondamentalement à cette question de l’Espérance. Là, il y a quelque chose de très évangélique, de missionnaire.
Quel est l’apport spécifique de la spiritualité ignatienne pour s’impliquer dans la conversion écologique ?
Je pense qu’avec cette phrase « chercher et trouver Dieu en toute chose », qui peut se compléter parfois chez Ignace « et toute chose en Dieu », on a un trésor. On a une spiritualité chrétienne qui nous engage dans le monde. Un danger religieux en général et un danger du christianisme dans certaines de ses formes, ce serait une espèce d’échappée du monde. Le monde allant mal, cette vallée de larmes, on la quitte, on rêve du paradis, on vit une vie spirituelle éthérée, « mon petit cœur à cœur avec Dieu », « Jésus qui me console ». Je crois que l’avantage de la spiritualité ignatienne avec cette idée de chercher et trouver Dieu en toute chose, c’est qu’elle nous envoie dans le monde, elle nous met à l’écoute de l’Esprit qui travaille ce monde et du coup je crois que là on a un beau cadeau à faire dans l’Église, à l’Église et puis plus largement à toute la Création. Une bonne spiritualité bien incarnée !
Propos recueillis par Pauline Nardese
6 semaines pour approfondir et incarner ta vocation chrétienne en écologie intégrale : www.chatelard-sj.org
Un projet soutenu par la Fondation Amar y Servir :
Développer des outils-support pour des retraites écospirituelles
La création d’un écocentre spirituel ignatien au Châtelard inclut un volet spécifique sur l’accompagnement spirituel de la Transition écologique. Mais intégrer un lien à la Création dans des retraites n’est pas évident : notamment par manque d’outils, ou « d’exercices » dirait saint Ignace.
Le recrutement d’une jeune membre du Réseau Magis en service civique va permettre de mieux connaître la biodiversité du Châtelard et de concevoir des outils support pour des exercices de retraites écospirituelles, certaines visant spécifiquement les jeunes et les personnes plus fragiles.
La Fondation Amar y Servir est heureuse de soutenir cette recherche innovante (l’écospiritualité chrétienne – particulièrement le « lien à la Création » – a été peu explorée jusqu’à présent), et facilement démultipliable auprès du réseau des centres spirituels ignatiens et des acteurs chrétiens intéressés.